Je m'appelle Kinnal Darival, et je vais tout vous dire à mon sujet.
Cette phrase est si étrange qu'elle a l'air de me hurler à la figure. Je la regarde tracée sur la page; je reconnais mon écriture et je voie mon nom, et j'entends en esprit l'écho de la pulsion cérébrale qui a fait éclore ces mots. Je m'appelle Kinnal Darival et je vais tout vous dire à mon sujet. Incroyable. Obscène! Obscène! Sur cette unique feuille, j'ai déjà utilisé le pronom « je » près d'une quinzaine de fois, me semble-t-il. Tout en lâchant au passage des mots tel que « mon », « me ». Un torrent d'impudeur. Je, je, je, je, je. Si j'exhiabais ma virilité dans la chapelle de Pierre de Manneran lors de la cérémonie du Jour des Noms, je ne commettrais pas un acte aussi abominable. Je ne suis pas un dément qui raconte des ignominies pour tirer un douteux plaisir d'un univers glacial. Je suis passé par le temps des changements, j'ai été guéri de la maladie qui affecte les habitants de mon monde, et j'ai l'intention de vous guérir comme moi.
Je m'appelle Kinnal Darival, et je vais tout vous dire à mon sujet.
A 39 ans, Robert Silverberg, auteur de L'homme dans la labyrinthe, Les masques du temps, Fils de l'homme, etc., est un des chefs de file de cette science-fiction moderne qui est la littérature de notre temps : audacieuse, angoissée, agressive et lyrique.